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lunes, 21 de junio de 2010

Infra ordinaire chilien - Photographies de Jérôme Aich et Magdalena Recordon - Textes par Pablo Fante



Au cours de la “Semaine de la Unión” sont élues les misses, que vous appréciez ci-dessus dans leurs robes fleuries. À présent, il ne vous reste qu’à admirer les chars du carnaval, dont la splendeur allégorique est vouée au soutien de ces beautés. Et les voir, elles, comme des étoiles, haussées à de tels honneurs de déambulation grâce au vote populaire méritant. Tout ceci, néanmoins, imaginez-le par vous-même. Ce ne sont point les splendeurs ni l’éclat des stars que ces photos exposent. Et même pas cette poudre de la conscience, toujours en fuite, que nous appelons le quotidien. Il s’agit d’un autre visage. Plutôt que le photogénique, la genèse de la photo – et de la lumière. Car tout naît, parfois, dans cet éclat de l’œil que le spectateur troque avec un enfant : l’enfant à son tour nous fixe, expressif. Tout naît lorsque l’on s’interroge sur l’intentionnalité de ce visage vierge.

Nous disent les photographes, dans leur langue, qu’il « se dégage une sorte d’identité mélancolique de ces images. Nous y percevons du silence comme des parenthèses. Ces silences nous parlent de quelque chose qui vient du fond du corps, comme un rêve. Un temps commun, comme si à l’intérieur du quotidien il y avait une autre histoire que tout le monde perçoit, mais qu’aussitôt l’on oublie. »



Et de quel temps parlons-nous ?

Voyons. L’image existe par elle-même, au-delà de ce qui est cherché. La photo, quand elle sort dans la rue, est une graphie de l’instant : message illuminé qu’un fait du hasard comble, simultané á la technique et à la volonté. Ou, disons, il est une volonté de l’instant, conscience du hasard, technique qui vit avec le hasard et le désire.

Si ce mystérieux sort de l’instant a lieu lors de la création, on comprend que certaines images puissent beaucoup penser au lieux qu’elles capturent ; et que d’autres, comme situées dans un espace quelconque du monde, pensent en particulier à elles-mêmes, se mirent dans leurs propres eaux. Toute image verse dans les yeux du spectateur la pensée de l’existence d’un lieu ; et d’autres fois elle le déconnecte de cette mer, cette plage, qui manquent pour lui d’un nom : elle le centre dans sa propre sensualité.

Et voyons encore plus : à travers cette ambivalence – la réalité évidente et la sensualité de l’œil – s’introduit la nuée de la distance. Les lettres de panneaux, quelque peu floues, semblent participer du jour le jour comme des pensées gelées. Et on ne peut savoir si le temps reproduit un lever du soleil ou son contraire, puisque le ciel hésite et la lumière du sud austral passe d’un pas rythmé. L’image a pu être gravée dans n’importe quel moment de l’histoire de la photo.

Que se passe-t-il, ici ? Mais il s’agit d’abord de vivre la distance. À travers elle le temps disparaît, nous pouvons l’oublier.

Et nous trouver là, d’une certaine forme, dans cette Place d’Armes d’Ancud, la empanada brûlante et juteuse entre les doigts, et nous entendre plaisanter avec le vieil homme au balai. Être là, car d’un coup la seconde pausée de la photo nous pousse en réalité sur les berges du temps, vers un lieu autre. Et nous pensons même deviner où se dirigent les gens, par leur pose, quoi que nous les sentons immuables, diffus dans ce mouvement suspendu.



Le Chili actuel, passé ? Un pays sans temps ? Un monde fixé par l’isolement ? Le Chili du saint capturé dans une maison en cristal, comme une statue patriotique, mais plus délicate. Celui d’une religion particulière : fière de ces mythes, et qui adhère avec autant de foi aux mormonismes. Ce Chili des forêts urbaines, pressées contre la pluie, qui sont de par leur architecture une réminiscence germanique, mais qui sentent parfois la spiritueuse chicha, comme dans cette maison au coin d’une rue, toute arrondie tel un paquebot. Depuis la guérite d’en face, justement, s’acheminent les bus vers la côte, et son rez-de-chaussé enfoncé dans la pente – on le devine à peine – serte de refuge aux marins de l’alcool.

Tout bouge et foisonne. Non, ce n’est pas un Chili immuable. L’objectif vitreux vogue sur le bateau ivre de l’intention : il fait pencher un trottoir pour redresser un aspect du rectangle, un homme, et pour le ramener à la sphère de la lumière. Il capte ensuite des hommes en uniforme, dont le regard se retourne quelque part et suit une même ligne : ils sont déconcentrés, et même hors de leur cercle synchroniques.

Le mouvement le plus fort se trouve dans ce fait que la photo n’explique pas son contexte, mais au contraire l’annule ; elle capte ainsi une étrange direction interne dans l’événement : il pose un défilé quotidien, mais précisé par la symétrie d’un point de fuite.

Et ce mouvement se trouve, aussi, dans ce fait que l’image nous propose ensuite un espace de traits en mouvement, un ciel de fils électriques : un paysage de lignes assumé comme tel, de directions qui flottent, et qui dialoguent avec ce ciel apocalyptique que les nuages entraînent dans leur chute vers la plate limite de la vue.

Cela précisé, que votre œil reste attentif, encore : il ne fait jamais nuit, ici. Jamais n’y brille l’étincelle réduite d’une lumière artificielle : tout vision est dans les flots du soleil.



Je cherche alors l’ombre. Et parviens à la voir, présente, souvent à la base de la caméra, sur ce bitume qui est un lac agité par des vagues de textures graveleuses. D’abord, l’ombre. Je la suis. Et, en embrassant ces textures, mon œil l’incarne.

Il évolue alors à travers le goudron, univers sombre dans lequel il s’égare, il doute. Et tac : l’attaque la lumière avec ses va-et-vient ludiques. Et, à partir du vide, soudain l’œil trouve l’image, car la lumière bat de ses ailes révélant les formes. Et quand celles-ci se précisent, c’est à vrai dire un détail qui s’impose : cet œil d’un enfant, d’un feu – un signe qui guide – : ce sont des noyaux des formes, qui leur donnent leur sens d’unité, et qui organisent le mouvement énergique de la lumière. Et maintenant l’œil se redéfinit en elle.

Paris, mai 2005.

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